Afin de protéger les structures métalliques (palplanche en zone portuaire, éolienne, hydrolienne bateaux…), l’utilisation d’anodes galvaniques (autrefois dites « sacrificielles ») est très rependue. Le Port de Calais, comme la très grande majorité des Maîtres d’Ouvrages portuaires à travers le monde, a choisi la méthode de protection cathodique par anodes galvaniques pour protéger ses structures. La masse totale d’anodes galvaniques (alliage Aluminium-Indium) utilisée par les gestionnaires du port représente environ 615 tonnes, destinées à protéger les infrastructures métalliques sur une durée d’au moins 15 ans. Au regard du peu de publication sur le sujet, la CCI Côte d’Opale Port de Calais a proposé la mise en œuvre d’un programme de recherche nommé « TALINE » visant à apporter des éléments de réponses sur le « Transfert d’éléments métalliques constitutifs d’anodes galvaniques ALuminium-INdium vers l’Environnement ».
Des partenaires scientifiques et techniques à haut niveau d’expertise
Le programme, réalisé sur une durée de 5 ans, est arrivé à son terme fin 2017. Conduit par le bureau d’étude ACCOAST, de nombreux partenaires techniques et scientifiques sont intervenus : L’Université de Caen Normandie (BOREA), le SMEL, le LABEO, Le CNAM-INTECHMER, NAVAL GROUP Research, l’Université de La Rochelle (LaSIE). Ces partenaires scientifiques représentent un haut niveau d’expertise en matière de corrosion et d’électrochimie, ainsi que de physico-chimie et biologie marine. Selon les besoins, certains laboratoires complémentaires ont été sollicités ponctuellement par les partenaires scientifiques au cours du programme.
Le programme porte sur la réalisation d’un état de référence du site de Calais, la réalisation d’une étude exploratoire électrochimique et physico-chimique en laboratoire et la réalisation d’une étude de suivi in situ complétée par des investigations en laboratoire.
Au sein de ces différentes parties du programme, l’étude du transfert des éléments métalliques issus des anodes galvaniques vers l’environnement est abordée selon les orientations suivantes :
- le compartiment aquatique (sous forme dissoute ou particulaire),
- le compartiment sédimentaire (dans l’espace et le temps),
- le compartiment biologique (notamment les organismes filtreurs ou benthiques),
- le compartiment matériau (anodes et dépôts d’oxydes).
Un peu de technique : C’est quoi la protection cathodique ?
Le port de Calais dispose de nombreux ouvrages maritimes constitués de structures métalliques (essentiellement des palplanches). Ce type de structure en acier, exposée au milieu marin, subit un processus normal de corrosion.
En effet, une réaction électrochimique engendre un circuit d’électrons à la surface du matériau en contact avec l’eau de mer, entraînant une réaction d’oxydo-réduction. Celle-ci se caractérise par la création d’une zone de réduction du dioxygène du milieu (dite zone cathodique) et d’une zone d’oxydation du matériau métallique (dite zone anodique). La zone anodique correspond donc à la zone corrodée.
Tout matériau métallique immergé dans un électrolyte (milieu conducteur, ce qui est particulièrement vrai pour l’eau de mer) subit cet effet électrochimique qui peut se mesurer notamment par un « potentiel libre de corrosion ». Cependant, le processus de corrosion d’un matériau peut être limité en le plaçant en dessous d’un niveau de potentiel, appelé potentiel de protection. Ce critère est spécifique à chaque matériau et peut dépendre dans certains cas des caractéristiques du milieu.
Ceci signifie que si l’on parvient à abaisser le potentiel de l’acier jusqu’à l’amener en dessous du potentiel, la réaction anodique tend vers zéro. Les processus de corrosion sont ainsi quasi nuls et l’acier est protégé. On parle dans ce cas d’une « protection cathodique », pour laquelle les 2 principaux dispositifs utilisés sont :
- la protection cathodique par anodes galvaniques (PCAG),
- la protection cathodique par courant imposé (PCCI).
La PCCI consiste à imposer le potentiel adéquat à une structure, via une source électrique (générateur / redresseur). Il s’agit donc d’un système forcé et régulé. Ce système, qui nécessite un équipement spécifique et une maintenance régulière est particulièrement intéressant pour des milieux peu conducteurs et/ou des structures complexes.
C’est pour cette raison que la PCCI est largement utilisée dans le domaine pétro-gazier (canalisations enterrées par exemple) et dans l’industrie (industrie navale, industrie de traitement des eaux, de désalinisation, etc.).
La PC (Protection Cathodique) par anodes galvaniques consiste à coupler 2 matériaux ayant chacun un potentiel libre éloigné l’un de l’autre. Le couplage des 2 matériaux forme alors une pile et abaisse le potentiel du matériau le plus noble. Le résultat est une consommation de ces anodes qui sont le siège des réactions d’oxydation. Elles se consomment donc dans le temps, à la place du matériau. Raison pour laquelle, encore récemment, nous parlions « d’anodes sacrificielles » car cette masse d’alliage (moins « noble ») se « sacrifiait » pour le matériau à protéger (plus « noble », d’un point de vue électrochimique).
La protection cathodique par anodes galvaniques plébiscitée dans le domaine portuaire
Dans le domaine portuaire, la PC par courant imposé est très rarement utilisée, alors que la PC par anodes galvaniques est préférée pour les raisons suivantes :
- la « culture », car la maintenance portuaire appartient plus au domaine du génie civil que de l’industrie,
- la praticité, car le dispositif de PC par anodes galvaniques est relativement simple (soudure des anodes sur les structures métalliques) et, contrairement à la PCCI, ne nécessite pas d’équipements électriques, de maintenance, etc.
- la nature du milieu très conducteur. En effet, l’eau de mer étant très conductrice, ce type de PC fonctionne très bien alors qu’au sein d’un milieu peu conducteur les anodes n’arrivent pas à débiter naturellement suffisamment de courant (d’où l’utilisation de courant imposé),
- les caractéristiques environnementales du milieu marin et les conditions opérationnelles. Outre sa conductivité, le milieu marin et portuaire en particulier peut parfois compliquer la mise en œuvre de la PCCI (rupture de câblage, dégradation plus rapide des équipements exposés au milieu marin, etc.).
Quoi qu’il en soit, les 2 systèmes ont leurs propres avantages / inconvénients, sujet qui n’est pas l’objet de ce programme d’étude.
De quelle nature sont les produits issus des anodes galvaniques ?
Des échantillons provenant de diverses anodes Al-In, immergées pendant des durées variables (15 jours – 3 ans et demi) dans de l’eau de mer naturelle sur différents sites (LaSIE-La Rochelle, Naval Group-Cherbourg, Port de Calais), ont été analysés. Dans tous les cas, la vitesse de dissolution choisie pour les expériences de laboratoire est celle typique d’une anode en service sur site réel. Différentes conditions hydrodynamiques ont été considérées. Enfin, des échantillons de sédiments marins contenant des fragments arrachés à la couche de produits de corrosion des anodes ont également été analysés. 27 conditions différentes ont ainsi été considérées.
Ainsi, les produits de dégradations constituent un gel poreux qui entoure le métal sans entraver sa dissolution. Les résultats montrent que la nature du produit est toujours identique quelles que soient les conditions testées. Cet élément constitué principalement d’aluminium, de soufre et de chlorure contient parfois du zinc ou de l’indium à l’état de trace.
Que deviennent les produits de dégradations ?
Les concentrations en métaux sont généralement trop faibles pour être quantifiées dans l’eau de mer. Ainsi, les métaux sont recherchés dans les sédiments où ils peuvent s’accumuler ainsi que dans les moules ou les éponges.
D’un point de vue empirique, la masse d’alliage métallique issue des anodes galvaniques représente un transfert massique négligeable dans l’environnement marin au regard de la durée de dissolution (au moins 15 ans) et des masses d’eau concernées (et renouvelées).
Les résultats de ce programme confirment le fait que le taux de dilution dans le compartiment aquatique aboutit à un transfert que l’on peut considérer comme étant négligeable. En effet, la très grande majorité des éléments métalliques issus des anodes galvaniques ne semble pas affecter l’environnement en conditions agitées, dans le cadre de ces expérimentations.
L’accumulation au sein des organismes utilisés dans le cadre de ce programme concerne principalement des éléments d’addition et non l’élément dominant qui est l’aluminium. Il s’agit notamment du zinc, de l’indium, du manganèse et du cuivre. Cependant, il ne s’agit pas ici d’une étude éco-toxicologique. De ce fait les résultats montrent une accumulation, dont les proportions sont très variables et ne peuvent être interprétées en matière d’assimilation et d’impact sur les organismes.
Parmi les métaux ciblés dans la Directive Cadre sur l’Eau, seuls le zinc et le cuivre peuvent s’accumuler dans certains cas au sein des organismes filtreurs utilisés dans le cadre de ce programme. Il convient de préciser que cette accumulation est variable (parfois absente) selon les espèces et les conditions d’expérimentation. Il est également important de prendre en considération le fait que ces deux éléments sont déjà présents dans l’environnement portuaire.
Le principal facteur d’accumulation concerne les sédiments en pied d’ouvrage, en zones confinées (ou à faible agitation). Dans ce cas, les éléments tels que le zinc peuvent s’y accumuler localement.
Il s’agit en réalité d’un transfert de la masse de dépôts d’oxyde qui, périodiquement, peut se détacher de l’anode et tomber au pied de l’ouvrage. En conditions agitées, ce dépôt se disperse dans l’environnement à très faible concentration.
Le suivi des concentrations en métaux des populations naturelles de moules a permis d’apporter des informations complémentaires au suivi des moules transplantées in-situ. En effet, les populations naturelles prélevées dans le port ont révélé des accumulations en certains métaux qui n’ont pas été observées pour les moules transplantées en cage.
De plus, il s’est avéré intéressant de coupler la transplantation de moules à celle d’éponges qui ont mieux accumulé certains métaux que la moule comme Cu, In et Mn. A l’inverse, les moules ont bien accumulé Zn par rapport aux éponges. L’utilisation de plusieurs bioindicateurs semble donc préférable dans le cadre de biomonitoring in-situ.
Le diagnostic réalisé, des solutions envisagées
Il est probable que ces produits issus des oxydes métalliques évoluent dans le temps, au gré des conditions physico-chimiques au sein des sédiments. Cependant, ce programme ne visait pas à étudier la transformation des oxydes métalliques dans les sédiments sur le long terme.
Quoi qu’il en soit, la seule problématique appliquée identifiée au terme de ce programme est liée à cette accumulation en pied d’anode, dans les zones à faible agitation. Ces zones sont également généralement des sites d’accumulation de contaminants drainés par d’autres sources (navire, eau pluviale, lessivages de terre-plein, apports industriels, etc.).
Les solutions envisageables seraient :
- Soit d’identifier un système de récupération de ces dépôts, ce qui semble difficile compte-tenu du nombre important d’anodes réparties sur les infrastructures, de la colonisation rapide par des organismes (en cas de pose de grilles, paniers, etc.) et, surtout, des caractéristiques de ces dépôts (mal cristallisés, poreux et hydratés).
- Soit limiter les opérations de dragage en pied d’ouvrages situés dans des zones confinées, ce qui est généralement le cas afin d’éviter des désordres mécaniques sur les pieds d’ouvrages. Le cas échéant, s’il s’avère nécessaire d’atteindre la zone en contact avec les infrastructures, il pourrait être envisagé un traitement différent de cette masse sédimentaire par rapport au reste, ou a minima d’en évaluer la proportion par rapport au volume total à draguer.
En conclusion, ce programme menant conjointement des études in situ et en laboratoire, en intégrant de nombreuses approches analytiques complémentaires, a permis d’obtenir les premiers résultats d’intérêt concernant le transfert des éléments métalliques issus des anodes galvaniques.
S’agissant d’une approche exploratoire relativement unique à ce jour, l’ensemble de ces résultats est à intégrer dans un contexte global qui ouvre des perspectives d’amélioration des procédures de protection de l’environnement, mais ne semble pas remettre en cause pour le moment le bien-fondé de cette méthode de protection du patrimoine métallique maritime.
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