Le suivi de la réserve scientifique de la pointe d’Agon

Publié le 24 mars 2020 | Nos travaux, Pêche |

De nombreux pêcheurs (professionnels comme de loisir) ont signalé une diminution des stocks de palourdes sur plusieurs zones de pêche sans pour autant pouvoir la quantifier. La question du volume des prélèvements et celle des modalités de gestion de cette activité sont des sujets sensibles. La gestion de cette activité semble primordiale afin de préserver les ressources et de pérenniser la pêche à pied tout en évitant les conflits entre professionnels et récréatifs. Ainsi, l’évolution des pratiques et de la réglementation doit s’appuyer sur des données scientifiques et des expérimentations. Pour cela une réserve scientifique, inédite en Normandie, est mise en place pour la durée du projet « Reconstitution d’un Stock de bivalves Indicateur de Stocks et Vigie des havres » (RS2S) porté par le SMEL en collaboration avec  le GEMEL-N, l’association Avril, M2C (Université de Caen), le LEMAR (Université de Bretagne occidentale), et l’APP2R. Ce programme, d’une durée de 5 ans (2018-2022) est cofinancé par l’Agence de l’Eau Seine Normandie  dans le cadre d’Initiative Biodiversité.



Une forte diminution du stock de palourde observé sur l’estran de la pointe d’Agon

Les pêcheurs à pied sont près de deux millions en France et le nombre d’adeptes est en constante augmentation (Aires Marines, 2015). Cette activité très diversifiée (beaucoup d’espèces pêchées, d’outils et de techniques) est bien présente sur la côte Ouest du Cotentin où la mer, en se retirant laisse découvrir un large estran avec une grande diversité de substrats (sableux à graveleux, hétérogènes et parfois envasés) et des habitats remarquables tels que les banquettes à lanices Lanice conchilega (annélides polychètes), les herbiers de zostères Zostera marina (phanérogame marine), les récifs d’hermelles Sabellaria alveolata (annélides polychètes), des champs de blocs et des zones à laminaires. Une fréquentation importante et croissante des activités de pêche à pied est observée depuis plusieurs années. Lors des grandes marées, quand de vastes estrans sableux de la côte Ouest Cotentin sont découverts, l’attraction pour ces activités est multipliée. 

De nombreux pêcheurs (professionnels comme de loisir) signalent une diminution des stocks de palourdes sur plusieurs zones de pêche sans pour autant pouvoir la quantifier. La question du volume des prélèvements et celle des modalités de gestion de cette activité sont des sujets sensibles. En 2015 & 2016, le secteur de la pointe d’Agon a été particulièrement frappé par une diminution des stocks de palourdes.

Une réserve scientifique bien respectée

L’arrêté n° 12-2018 a instauré la création d’une réserve temporaire pour l’étude des bivalves fouisseurs dans le secteur de la Pointe d’Agon (Agon-Coutainville, Manche). L’objectif est de suivre l’évolution des communautés de macrofaune benthique, du peuplement de bivalves et de la population de palourdes en comparaison avec des sites pêchés (Blainville-sur-mer & Annoville / Lingreville). Il est prévu une fermeture totale de la réserve scientifique de 2018 à 2020, puis une réouverture partielle en 2021 et une ouverture complète en 2022. Cette réserve est balisée par 20 bouées de couleur orange situées sur le pourtour. Des panneaux d’information ont été placés à la cale de l’école de voile d’Agon-Coutainville, les parkings de la pointe d’Agon et à la cale des moulières. 

En 2018 et 2019, des actions de sensibilisation ont permis d’alerter les quelques pêcheurs à pied présents sur site ; depuis la fin de l’été quasiment aucun pêcheur n’a été observé dans la réserve. 

Panneau d’information  de la réserve de la pointe d’Agon (carte F. Bargat, Association Avril)

Un suivi scientifique très complet et fastidieux

Afin de suivre la reconstitution des stocks, 3 campagnes de prélèvement par an durant les 5 années sont effectuées sur 4 zones : Blainville-sur-mer (Zone A), la partie nord de la réserve d’Agon-Coutainville (Zone B), la partie sud de la réserve (Zone C), et Lingreville (Zone D). Sur chaque zone, le sédiment de 12 stations de 1 m² est prélevé puis tamisé sur place (vide de maille 5 mm). Les bivalves sont identifiés, mesurés et pesés individuellement au laboratoire du SMEL avant d’être relâchés sur la zone. Le suivi de la faune benthique et la granulométrie sont réalisés une fois par an en hiver sur 9 points d’échantillonnage par zone (soit 36 points par an) à l’aide d’un carottier à main de 20 cm de diamètre et 20 cm de profondeur. Pour la faune, la fraction fine est éliminée à l’aide d’un tamis de maille 1 mm puis le refus de tamis est stocké dans un contenant étanche. Après fixation, les échantillons sont rincés à l’eau et les individus sont triés des sédiments puis conservés dans de l’alcool à 70°. Chaque individu est identifié et dénombré sous loupe binoculaire et microscope (dans le laboratoire du GEMEL-N à Luc-sur-mer). L’identification des individus observés est faite à l’aide de clés d’identification morpho-anatomique (WoRMS).

Plus de 150 espèces identifiées …

La communauté de la macrofaune benthique est représentée par 152 espèces différentes observées en 2018 et 174 espèces en 2019. Il est observé un nombre global d’individus supérieur en 2019 (2784 individus) contre 1561 en 2018 (sur une surface de 36 répliquâts de 0.029 m² soit 1.044m² répartis sur les 4 secteurs suivis). Cette augmentation de la densité est particulièrement observée sur le secteur de Blainville-sur-mer, alors qu’elle est plutôt stable pour Lingreville et le sud de la réserve. Cette augmentation de densité est particulièrement due à un petit crustacé arthropode (Anapagurus chiroacanthus) représentant à lui seul 17.4% des individus observés. Ces deux premières années d’observation montrent qu’il est nécessaire d’obtenir des observations supplémentaires pour intégrer les variations inter-annuelles et la dynamique spatio-temporelle naturelle assez variable dans ce secteur soumis à de fortes contraintes hydrodynamiques.

25 espèces de bivalves déterminées…

Un total de 3583 individus a été dénombré en 2018 et 2019. L’abondance mensuelle sur l’ensemble des quatre zones est plus élevée au mois de septembre (782 individus en septembre 2018 et 753 individus en septembre 2019 sur 48m²) car cet échantillonnage fait suite à la période de recrutement des bivalves. Les valeurs minimales d’abondance sont observées sur le secteur de Blainville-sur-mer (72 ± 12 ind. Sur 12 m²) alors que les maximales sont vues sur le secteur d’Annoville/Lingreville (275 ± 110 ind. Sur 12m²). Le peuplement de bivalves est principalement dominé à la hauteur de 30 à 50% par les palourdes (Ruditapes spp.). Les Spisules (Spisula spp.), les palourdes bleues ou palourdes poulette (Venerupis corrugata) et les coques (Cerrastoderma edule) occupent plus de 10% du peuplement chacun. En 2019, le secteur de Lingreville montre une très grande différence de profil et des effectifs très supérieurs à toutes les autres zones étudiées. Une nouvelle cohorte (de l’ordre de 20 mm de longueur de coquille) y est présente dès février, non observée en 2018. Cette nouvelle génération de juvéniles n’est pas observée dans la réserve qui montre des effectifs faibles et stables.

Les différences d’une année sur l’autre entre chaque zone sont peu sensibles autant en termes de densité de la macrofaune que des bivalves. L’effet de la pêche à pied et du ratissage sur l’estran ne montrent que peu d’impact sur la communauté. Les densités des bivalves sont relativement homogènes sur l’ensemble de zones étudiées, mais un grand nombre de stations ‘vides’ a pu masquer l’effet de certains facteurs comme le mouvement des sédiments ou la dynamique propre des peuplements. Il existe en effet une variabilité intra zone plus importante qu’inter zone. L’étude de la structure de la macrofaune ainsi que l’étude des cohortes des palourdes tendent à suggérer une dynamique très active dans les habitats de l’estran de l’ouest Cotentin.

Photo 4 : Palourde japonaise (Ruditapes philippinarum) et Palourde européenne (Ruditapes decussatus)

La réouverture partielle sera discutée lors du prochain comité consultatif en 2021

Lors de sa réunion du 5 décembre 2020, le comité technique a proposé des modalités de réouverture partielle de la réserve de la pointe d’Agon : 

– Réouverture uniquement de la partie au Nord de la cale des moulières (la partie sud restant fermée complètement),

                – Conserver le quota de 100 palourdes (loisir) ou 20 kg (professionnels),

– Conserver la taille minimale de 40 mm,

– Ouverture uniquement le vendredi pour les professionnels,

– Ouverture uniquement le samedi pour le loisir

 – Pêche uniquement à la marque (aucun grattage autorisé pour les pêcheurs de loisir et les pêcheurs professionnels).

Deux options ont été proposées au comité consultatif : Une réouverture le 1er janvier 2021 ou une réouverture le 1er juin 2021. 

Sur la base des résultats obtenus durant les années 2018 et 2019, et n’ayant pas observé de retour d’une population de bivalves sur le secteur de la réserve scientifique, le Comité Consultatif a décidé de reporter la décision sur la date de réouverture lors de sa prochaine réunion qui aura lieu début 2021.  

Carte de la réserve de la pointe d’Agon avec distinction Nord et Sud (carte Florian Bargat, Association Avril)

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Partenariat financier


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