Le projet de création d’une filière de valorisation de l’algue envahissante Sargassum muticum en Normandie est né suite aux échouages printaniers répétitifs de cette algue sur les structures conchylicoles (les bouchots à moules et les tables à huîtres) de la côte ouest de la Manche. Après enquête auprès des professionnels de son impact et un premier projet de 2014 à 2016 pour évaluer le stock disponible de cette algue à Bricqueville-sur-Mer, le projet SNOTRA, soutenu par les fonds européens FEAMP a pour but de valider la faisabilité technique et économique de cette future filière de valorisation en étudiant les différentes étapes qui la constitue. Les actions menées et les premiers résultats obtenus sur ces deux années de réalisation sont pour l’instant favorables.
Le développement des sargasses : plus tardif et moins abondant en 2018.
Mesurer et suivre l’évolution de la biomasse (= poids de sargasse par m²) des sargasses au cours de l’année permet de déterminer la période annuelle où elle est la plus abondante, et donc la période la plus propice pour sa récolte. Ce suivi est effectué pendant trois ans ce qui permet aussi d’observer la variation du stock de sargasse d’une année à l’autre et d’appréhender les éléments qui le font varier.
La sargasse suit un cycle de développement dit saisonnier (que l’on peut comparer aux arbres feuillus) :
- l’hiver, elle entre dans une phase de faible croissance où quelques rameaux vont lentement pousser à partir du pied (partie qui persiste d’une année à l’autre), les jeunes plantules issues de la reproduction apparaissent aussi à cette saison ;
- au printemps elle entre dans une phase de forte croissance qui se caractérise par l’élongation et l’étoffement rapide de ses rameaux, elle atteint sa taille et son poids maximal en fin de printemps / début d’été ;
- elle devient fertile durant l’été ;
- puis à la fin de l’été / début de l’automne la sargasse entre dans une phase de dégradation où elle perd ses rameaux et seul le pied reste.
- Puis le cycle recommence.
Méthode : prélèvement de 10 quadrats d’1 m² par siteSuivi de la biomasse (poids moyen de sargasses sur 1 m²)Suivi de la densité (nombre moyen de sargasses sur 1 m²)Suivi de la longueur moyenne et du poids moyen individuel des sargasses
A partir des mesures de biomasses enregistrées (Figure 1), quelle que soit l’année ou le site étudié, le cycle de développement décrit précédemment est très nettement distinct. Cependant, sur un même site, des variations sont observées d’une année à l’autre concernant : l’avancée du cycle (plus précoce ou tardif), la biomasse moyenne maximale atteinte (inférieure ou supérieure). Il en va de même entre les sites étudiés où l’on observe des cycles légèrement décalés et/ou différents d’un site à l’autre, ainsi qu’une valeur de la biomasse moyenne maximale différente.
Ainsi, on retiendra que :
- La phase de forte croissance a débuté à partir d’avril/mars en 2017 comme en 2018, cependant la biomasse maximale a été atteinte plus tardivement en 2018 pour les sites manchois (en juin/juillet contre mai en 2017).
- La densité des sargasses reste stable entre 2017 et 2018, mais la longueur et le poids des thalles de sargasses diminue en 2018. Cette plus faible croissance se traduit par une diminution des biomasses maximales atteintes en 2018 par rapport en 2017. (Figure 2, 3, 4) A Bernières-sur-Mer, la différence est notamment très nette suite aux tempêtes de début 2018 qui ont arraché les rameaux et empêché leur pousse. A Bréville-sur-Mer et Gouville-sur-Mer il n’y a pas de différence de biomasse entre 2017 et 2018 car la méthode d’échantillonnage apporte un biais.
- Le léger retard du cycle et la diminution des biomasses maximales en 2018 par rapport à 2017 pourrait être imputé à la différence de température de l’eau de mer qui était de 2°C plus basse en 2018, ainsi qu’aux tempêtes qui ont touchées certains sites.
- Par ailleurs, on remarque des différences entre les sites du Calvados et ceux de la Manche : la biomasse augmente plus rapidement dès le début de la croissance sur les sites du Calvados, avec des biomasses maximales nettement plus fortes (l’ordre de grandeur de la biomasse maximale est le suivant : 200 g/m² à Bréville-sur-Mer et Gouville-sur-Mer, 1 000g/m² à Agon-Coutainville et Bricqueville-sur-Mer, plus de 1 000 g/m² à Grandcamp-Maisy et Bernières-sur-Mer), et la dégradation est retardée jusqu’en août-septembre.
- La différence de biomasse entre les sites est dû à la nature du substrat (zone sableuse avec peu de cailloux (Photo 2, Bréville-sur-Mer), zone sableuse avec cailloux ou barre rocheuse, platier rocheux (Photo 3, Grandcamp-Maisy)). Suivant le substrat, la sargasse pourra plus ou moins se développer, ce qui impacte la densité de thalle de sargasse au m² (densité plus forte dans le Calvados).
Pour conclure, les stocks de sargasse semblent plus ou moins stables dans le temps. Les augmentations/diminutions de la biomasse et avancées/retards de développement des sargasses sont en partie liés aux conditions environnementales (température de l’eau, ensoleillement, tempêtes) et de la zone (substrat favorable/moins favorable). La période optimale de récolte se situe d’avril à juillet pour les sites du Calvados et d’avril/mai à juin pour les sites de la Manche.
Les tests de récolte manuelle : une nette amélioration de la technique et du rendement final.
La base de la filière de valorisation de la sargasse repose sur la récolte de la sargasse, qu’elle soit manuelle ou faite de manière mécanisée. La récolte manuelle offre différents avantages : facilité de mise en place de cette technique, qualité des algues récoltées par la sélection de celles-ci et par leur propreté (peu de sable, peu de cailloux). Cependant le rendement est en toute logique plus faible que celui obtenu par récolte mécanisée.
Une première récolte a été effectuée à Bricqueville-sur-Mer en juin 2017. Le rendement moyen a été très faible (165 kg / heure / personne), notamment parce que la zone de récolte choisie comportait peu de sargasses et que celles-ci étaient en forte dégradation à cette date.
En mai 2018, sur le même site, le rendement a triplé (467 kg/h/p), car la zone de récolte choisie était plus fournie en sargasses et celles-ci étaient en bon état. Par ailleurs, le matériel de récolte a été amélioré avec l’utilisation de paniers à crabes (plus facile d’utilisation que les sacs-filets utilisés en 2017, contenance plus grande avec 30 kg en moyenne de sargasses récoltées contre 20 kg en 2017). Enfin, la technique de coupe a elle aussi été améliorée (technique déjà expérimentée une fois en 2017 donc coupe plus rapide).
Un essai de récolte sur barrage a aussi été réalisé (Photo 4), avec un rendement très intéressant (590 kg/h/p). Cependant, cette récolte manuelle sur barrage s’est déroulée sur une durée de 15 minutes, ce qui ne permet pas de prendre en compte le critère de la fatigue. De futurs essais sont nécessaires.
Une seconde récolte manuelle a aussi été effectuée en mai 2018 à Grandcamp-Maisy (Photo 5). Malgré des sargasses denses et bien développées sur la zone de récolte, le rendement obtenu est 1,5 fois inférieur à celui obtenu à Bricqueville-sur-Mer en 2018 (297 kg/h/p).
Ces résultats sont encourageants et potentiellement améliorables. Des questions demeurent autour de la mutualisation d’un moyen de transport sur l’estran entre les pêcheurs à pieds qui pratiqueront cette activité (ex : tracteur avec plateau, etc.), ainsi que sur la méthode et le lieu de pré-stockage des sargasses récoltées avant leur acheminement jusqu’à l’usine de transformation (pré-stockage en benne sous bâche, en bassin, en chambre froide, etc.).
Partenariat technique.
Partenariat financier.